REVOLVER D'OFFICIER MODELE 1874
POUR LA MARINE ET LES TROUPES DE MARINE
FICHE TECHNIQUE :
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AVANT TOUT, UN PEU D'HISTOIRE : Deuxième moitié du XVIIIème siècle
C'est alors la belle époque et l'expansion coloniale bat son plein. L'Infanterie et l'Artillerie de Marine dépendent encore de la "Royale" qui est encore en mesure de produire ses modèles particuliers et d'innover. C'est le cas en 1858, où elle adopte, après le système de mise à feu par percussion pour ses pistolets, le revolver à 6 coups et ce bien avant l'Armée de Terre qui ne s'y résoudra que 15 ans plus tard en 1873.
Ce premier revolver utilisait initialement une munition à broche. Arme à simple action et à cadre ouvert, d'un calibre de 11 millimètres, il était construit par l'entreprise parisienne LEFAUCHEUX. Il connut par la suite diverses modifications pour le faire passer en double action, puis l'adapter à une munition à percussion centrale du même calibre. Il se trouvait dans cette configuration en 1870, année au cours de laquelle la Marine adopta un nouveau modèle, toujours au même calibre, mais cette fois avec cadre fermé sur lequel était ménagé un canal de visée. Par ailleurs sa munition, elle aussi à percussion centrale, était d'une puissance respectable pour l'époque avec une vitesse initiale de 215 m/s et une énergie cinétique de 29 kg/m. A ce moment-là, l'Armée de Terre en était encore au pistolet à percussion à un coup et à chargement par la bouche, relevant d'une technologie de base remontant à la fin du XVIIe siècle...
Le conflit franco-prussien, dans ses conséquences, accéléra donc les choses et, passé le choc de la défaite, un vaste programme de modernisation des armements fut entrepris en parallèle avec la réorganisation des Armées. Les armes de poing firent l'objet d'une attention particulière et, dans ce domaine, la Marine eut valeur d'exemple dans les projets et les études spécifiques.
LES REVOLVERS MODELE 1873 ET 1874 (SYSTEME CHAMELOT-DELVIGNE)
L'adoption du nouveau revolver, en fait, ne fit pas l'objet de longues études. D'une part en effet, la Marine était bien en avance dans ce domaine, et d'autre part l'industrie privée développait une production très variée et bien éprouvée de ce type d'arme depuis près de trente ans. Les options étaient, si l'on peut dire, sur étagère. Restait donc à faire un choix.
Toutefois, un certain nombre de critères incontournables pour une arme de profil militaire s'imposaient :
- Calibre compatible avec celui de la Marine.
- Munition à percussion centrale.
- Robustesse et simplicité.
- Tir à double et simple action.
- Facilité d'entretien et de démontage.
- Et enfin, le meilleur rapport qualité/prix.
Le choix de l'Etat-Major se porta rapidement sur l'exemplaire proposé par l'entreprise CHAMELOT DELVIGNE, dont les ateliers parisiens étaient en activité depuis 1850, en sérieuse concurrence du reste avec LEFAUCHEUX qui fournissait la Marine depuis 1858. Le brevet fut donc agréé et le modèle de base pour la troupe commença à être produit à Saint-Etienne dès 1873. Sa munition était alors au calibre de 11 millimètres, mais d'une puissance un peu plus faible que son homologue pour les revolvers de Marine Mle 1870.
Dès lors, le nouveau modèle s'imposa à tous. Ceux destinés à la Marine connurent dans les débuts quelques aménagements sur le barillet quant aux munitions. La calotte de crosse est toujours marquée d'une ancre et d'un poinçon M à la suite du millésime sur le canon (cette particularité ne sera pas reconduite avec le modèle suivant de 1892 en 8 millimètres). Toutefois, si l'un ou l'autre de ces marquages est absent, il est communément admis que l'arme était destinée à l'Infanterie ou à l'Artillerie de Marine.
Il importe enfin de souligner que, pour la dernière fois dans l'histoire de l'armement français, le nouveau système comprenait une arme à l'intention des officiers, plus connue sous le nom de modèle 1874. Sa conception d'ensemble était la même que celle du modèle de troupe de 1873. Les différences essentielles portaient sur un allègement général dû à une moindre longueur (22,8 centimètres au lieu de 24,2) et à un barillet évidé entre les chambres. Le poids était ainsi ramené à 1 kg au lieu de 1,185. Enfin, alors que le 1873 était d'un fini poli blanc, le 1874 était entièrement bronzé.
Pour la composante Marine, les marquages spécifiques suivaient les mêmes dispositions de détail du modèle 1873 et se retrouvaient sur l'arme d'officier de 1874. C'est donc d'un revolver de ce dernier type dont il est ici question.
L'ARME EN ELLE-MEME
Figurant en bonne place dans les collections du Musée, elle se trouve dans un état que l'on pourrait qualifier d'exceptionnel, compte tenu de son ancienneté et des tribulations qu'elle ne peut manquer d'avoir connues. Le seul fait qu'elle ait conservé son bronzage d'origine presque à 100 % est à ce sujet peu courant et tout à fait significatif. Ce caractère est encore renforcé du fait que la manufacture de Saint-Etienne ne fabriqua pour la Marine que 1 566 exemplaires de ce type entre 1878 et 1885.
Ces chiffres, s'ils peuvent sembler relativement faibles, ne portent en fait que sur des commandes propres à la Marine, en dehors des fournitures ordinaires communes avec l'Armée de Terre. Par ailleurs, l'arme était également produite à Saint-Etienne pour le marché civil, à une heureuse époque où la liberté était totale en la matière, et de nombreux officiers s'y fournissaient volontiers à titre personnel. Toutefois, il s'agit bien ici d'un modèle réglementaire, ses marquages en témoignent. Tout d'abord, le modèle (Mle 1874) porté sur le pan supérieur du canon est suivi du M pour Marine. Ensuite, sur le pan gauche, figure le millésime S 1878 qui se rapporte à l'année durant laquelle fut produite l'arme à Saint-Etienne (signification du S) à raison de 880 exemplaires.
A l'extrémité, le canon comporte un guidon de visée sur embase. Le corps proprement dit est à cadre fermé, portant sur le dessus un canal de visée s'alignant sur ce dernier. Du côté droit, sous le barillet, il porte l'identification de la manufacture en caractères cursifs : Mre d'armes St Etienne
Du même côté, un peu à l'arrière et juste au-dessus de la plaquette de crosse, figurent trois petits poinçons d'identification et de contrôle, dont le M pour Marine. Sur le pan supérieur gauche du canon se trouve le N° matricule de l'arme. Il se reproduit à l'identique sur le corps à l'arrière au dessus de la plaquette.
Enfin, sur le pan latéral, on relève dans un petit cercle les poinçons B et T qui correspondent aux contrôles d'épreuve de l'arme finie. Après cette ultime opération en manufacture, elle était jugée apte au service. A ce sujet on peut préciser qu'un demi-siècle plus tôt, il aurait été aisé d'identifier les contrôleurs selon leurs marques, car ils étaient relativement peu nombreux et bénéficiaient d'une notoriété bien établie dans leurs entreprises. A la fin du Second Empire, et a fortiori après 1870, les productions industrielles de masse tendirent irrémédiablement à occulter ces personnalisations, et c'est bien regrettable, ne serait-ce que dans le domaine de la traçabilité utile à la recherche historique.
Pour en revenir à l'arme elle-même, les plaquettes de poignée sont en noyer de bonne qualité et finement quadrillées pour assurer une bonne prise en main. Par ailleurs, les mécanismes internes sont restés très "nerveux" et fonctionnent encore de façon remarquable. En clair, elle est toujours en état de tir, ce qui ne fait que témoigner de la qualité et de la précision des usinages et des savoir-faire de l'époque.
POUR CONCLURE
Enfin, en guise de conclusion et tout ceci pour la petite histoire, les revolvers 1873 et 1874 furent fabriqués tels quels jusqu'en 1900 environ, alors que leur successeur de 1892, en calibre 8 millimètres avec munition à poudre pyroxylée, donc sans fumée, était déjà en service depuis plusieurs années. Ils ne furent pas retirés du service pour autant, en particulier aux colonies. En métropole ils eurent encore toute leur place durant la Grande Guerre dans les formations territoriales et auxiliaires. Ils connurent enfin leur "Chant du Cygne" durant le conflit suivant, en particulier dans les rangs de la Résistance alors que, paradoxalement, leurs successeurs de 1892 équipaient en majorité les nervis de la Milice. A cette époque sombre où il fallait faire feu de tout bois, certains combattants utilisèrent à l'occasion des munitions US de 45 ACP ou autres... Il faut dire, selon les témoignages, que cela fonctionna souvent ; mais dans le cas contraire, les effets furent regrettables pour le tireur...
Lieutenant-Colonel (cr) Jack PELISSIER